La sourde récrimination du poète.
Le silence s'est accroché à mes lèvres.
Il me nourrit d'un fiel amer... ô, boire la coupe jusqu'à la lie
Et prendre encore sur soi les violents hauts le cœur
Qui naissent de l'amertume et de la déception...
Trop inavouable malaise,
Qui surgit d'un seul coup,
Du même tourbillon qui emporte le monde
Et vous pousse à agir, sans même vous arrêter.
Oui, pourtant, celle-là même,
Cette douceur d'écrire qui semble vous émouvoir
C'est vous qui la tuez, c'est vous qui la brûlez
En lui donnant matière
A n'avoir que des pleurs sinistres à contempler.
Le reproche s'accroche au fil de mes lèvres
Tranchantes comme des rasoirs, aiguisés au chagrin.
O, je n'aurai sans doute jamais assez de volonté
Pour le laisser perler.
Préférant vous offrir un poème ironique,
Sans rapport, sans doute, avec cette existence
Que je vous compose ce jour, abattue, dans ma chambre ?
Le poème envoyé.
Quel fugitif tremblement agite des feuilles d'or des forêts sans fond ?
Une palpitation, que seule saisit la plume, et qu'on ne pourra dire
Qu'en hachant, strictement, les nervures...
Le retour du poète sur son poème.
Il n'est rien, aujourd'hui, que je puisse dire, ou affirmer, quand à cet état chagrin qui me ronge à présent. Qui lirait le poème n'y comprendrait rien. Quel fugitif tremblement ? Si ce n'est le menton qui tremble doucement, comme à l'annonce de la Peur, blanche, solitaire, et si absolue qu'elle fait trembler les membres. Quelle palpitation ? Si ce n'est le pouls, qui s'accélère, s'énerve, et ne peut concevoir qu'il lui faille écrire, en un moment où la terre entière semble s'être arrêtée. Quelles hachures ? Quelles nervures ? Si ce n'est le bruit sourd des touches du clavier qui inscrivent leurs lettres pour tuer le temps...
Le poème se lit, s'admire et cependant... Ne sommes-nous pas tous bourreaux d'un autre monde ? La source du poème, si claire et si limpide, n'est-elle jamais troublée que par ceux qui s'y abreuvent ?