1.) LA LETTRE.
· Répond à des exigences pratiques simples : la date d'écriture, le nom du destinateur et celui du destinataire.
· Obéit aussi à des contraintes prescrites par les codes sociaux et en épouse les variations :
- Les lettres étudiées relevant de la correspondance privée sont toujours datées ; la date peut même permettre l'identification de la lettre. Les auteurs de romans par lettres usent de la datation pour parer la lettre d'une apparence de vérité.
- Un en-tête nommant le destinateur et le destinataire semble de rigueur dans la lettre cérémonieuse, généralement pourvue aussi d'une formule finale de politesse et de la signature du destinateur.
- Nécessité d'une suscription et d'une souscription n'apparait pas dans la lettre familière. C'est ce modèle qu'adopte généralement le roman épistolaire puisqu'il plonge au cœur de l'intimité des personnages.
- Un élément indispensable : l'appellatif ; nomme le destinataire, définit simultanément le mode de relation qui unit deux correspondants : affection amicale, amour, inquiétante froideur...)
Quels que soient les enjeux de la lettre, mais toujours en adéquation avec eux, on voit se dessiner des constantes de forme.
2.) DE LA RÉALITÉ A LA FICTION : de la lettre au roman par lettres.
· Le roman par lettres résulte du croisement de deux formes : la lettre et le roman. Comme la lettre, le roman épistolaire a pour fondement l'absence du destinateur ou du destinataire.
· La distance entre les correspondants peur constituer un thème de l'œuvre ; par exemple le thème du voyage dans les Lettres Persanes.
L'absence motive la tentative d'échanges épistolaires dans les Lettres Portugaises.
· L'auteur d'une lettre réelle s'exprime à la première personne, situation propice aux confidences et au récit.
· La lettre est aussi instrument de l'action (ex : la lettre ouverte des Provinciales). L'expression à la première personne, la dimension pragmatique et la fonction narrative de la lettre se retrouvent dans le roman épistolaire. (ex : les Liaisons dangereuses : habile manipulation de Mme de Merteuil : elle impose à Valmont sa conduite future dans un petit récit moralisant qui est une mise en abyme de sa propre histoire. Elle lui fournit le modèle de la lettre de rupture cruelle et libertine qui tuera Mme de Tourvel.)
3.) LE ROMAN PAR LETTRE.
· Un roman sans auteur apparent : car ce dernier pratique l'art du masque. La préface le pose en éditeur, en traducteur. Il semble hésiter à assumer la paternité du roman tant le genre est décrié au 17ème et 18ème siècle pour son invraisemblance et son immoralité.
· Roman fondé sur la feinte : il cherche à se faire passer pour une correspondance réelle proposant ainsi l'imitation d'un texte plutôt qu'un reflet du monde réel. Mais à vouloir acquérir une absolue vraisemblance, il s'en éloigne parfois étrangement.
· Ex : Saint Preux continue à écrire à la femme aimée dans la Nouvelle Héloïse alors que celle-ci arrive. Le souci de vraisemblance s'efface au profit de la nécessité d'assurer la poursuite de l'action.
· Le roman n'a pas de narrateur ou plutôt il en plusieurs. La fonction narrative est déléguée à chaque épistolier. On voit ainsi se dessiner plusieurs aspects du roman, selon les formes de l'échange instauré entre destinateur et destinataire :
- monodique : (à une seule voix) quand seulement une voix : celle du destinateur.
- Polyphonique : les lettres se croisent ; on entend des voix convergentes ou contradictoires : voix dissonantes et critiques dans Les Lettres Persanes, voix convergente des amants dans La Nouvelle Héloïse, voix menteuse des liaisons dangereuses, où un même personnage n'hésite pas à tenir des discours opposés.
- Mais une des caractéristiques les plus marquantes du roman par lettre est le rôle dévolu ; l'écriture à la première personne autorise la participation du lecteur à la vie intérieure des personnages. De plus, en l'absence d'un narrateur unique, aucune voix ne vient délivrer la leçon de l'œuvre. C'est le lecteur qui décide du sens final.