* Explosion d'Hiroshima & Nagasaki (6 et 9 août 1945) : Truman salue le progrès de la science.
* Camus écrit dans Combat : « n'importe quelle ville de taille moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie [...] Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille la peine d'être mené. Ce n'est plus une prière mais un ordre, qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement enter l'enfer et la raison. »
2 réactions → réflexion éthique et historique.
Paradoxe : entrée de la bombe dans l'histoire marque la fin de son utilisation... Une arme qui a assurée la paix ?
- Quel est l'impact du souvenir des ruines des villes japonaises ?
- Dans quelle mesure le nucléaire et, par delà, la bombe atomique est-elle un enjeu politique, militaire et stratégique bouleversant les relations internationales et l'ordre mondial au 20ème siècle ?
- Comment le fait nucléaire est-il reflet de la guerre froide, oscillant entre crise, ruptures et détente ? Autrement dit, comment réintégrer le nucléaire à l'objet d'histoire qu'est la Guerre Froide pour saisir toute la dynamique de l'histoire d'après-guerre ?
Plan :
- Des origines du nucléaire → fin de la prédominance américaine (fin des années 1950)
- Un partage des deux grands dans le cadre de la Guerre Froide : l'ère de la peur atomique. [détente et reprise de la course aux armements.]
- Fin de la Détente (...) → 1979: traités de limitation : une politique nucléaire entre les deux grands.
- De l'ère Gorbatchev / Reagan à l'effritement de l'URSS : nouvelles tensions et nouveaux enjeux du nucléaire dans le monde...
I/ GENEALOGIE DU NUCLÉAIRE : une prééminence des États-Unis ?
A.) recherche scientifique.
- Le nucléaire → bombe atomique. A puis H (1952).
- Fruit des recherches scientifiques (Curie et Einstein) et qui poursuivent après la première guerre mondiale.
- 1941 : Projet Manhattan aux EU sous la férule d'Oppenheimer.
- 1942 : expérimentation aux États-Unis.
- Principe du nucléaire : la fission du noyau, qui trouve une ampleur (radioactivité, puissance de destruction)
- De la recherche à la bombe A (atomique) et bombe H (Hydrogène) → miniaturisation et augmentation de la puissance de destruction.
B.) Hiroshima et Nagasaki : la science au service de la mort de masse.
- Tournant de la guerre.
- Postdam () : décision d'utiliser l'arme atomique.
- Débat s/ utilisation de la technique et science dans la mort de masse.
- Certains historiens font commencer la Guerre Froide en 1945 avec cet emploi de la bombe...
C.) Du monopole américain au « club ».
- monopole exclusif pendant 4 ans.
- 1949 : URSS a la bombe.
- Tension entre Chine/Urss : « le tigre de papier a des crocs atomiques » réplique Khrouchtchev à Mao. Il lui supprime l'assistance nucléaire dont il faisait bénéficier la Chine depuis 2 ans, ce qui conduit à une rupture diplomatique entre les deux pays.
- Ébauche d'une course entre les deux grands face au risque d'une « prolifération horizontale » (ex : France, reprise du programme nucléaire ordonné par de Gaulle.)
D.) Politique favorise la suprématie américaine.
- course aux armements avec la Guerre de Corée.
- Ds les années 1950 : début de l'idée du PRINCIPE DE DISSUASION.
- Eisenhower : STRATÉGIE DES REPRÉSAILLES MASSIVES : EU prêts à riposter avec l'arme nucléaire, l'URSS n'est pas encore en mesure de constituer une menace.
II/ Fin des années 1950, Détente et reprise de la course aux armements : « le délicat équilibre de la terreur » Albert Wohlstetter (cité par Fontaine).
A.) Course aux armements et diversification...
- Ce fut à la fin des années 1950 que les Américains commencèrent à développer des armes nucléaires "tactiques", pour le cas de conflits graves mais localisés, afin d'éviter de déclencher l'Apocalypse pour « un pâté de maisons de Berlin » selon l'expression du futur secrétaire d'État Kissinger.
- 1957 : SPOUTNIK ; idée DU MISSILE GAP, alors que supériorité américaine (Fontaine). Idée d'une supériorité de l'URSS qui a essayé en 1953 sa 1ère bombe « H » (1 000 Hiroshima) et va désormais pouvoir fixer des ogives thermonucléaires sur des fusées capable d'atteindre le territoire américain, mettant ainsi fin à la totale impunité dont celui-ci avait jusqu'alors bénéficié. (Fontaine).
- La même année est conclu un accord permettant aux Eu d'installer des fusées atomiques américaines capables d'atteindre la Chine, à Taipeh. Un traité d'assistance nucléaire est secrètement conclu entre la Chine et l'URSS.
- Kennedy & la RIPOSTE GRADUEE. : la guerre froide se déplace en Europe ; Kennedy appuyé par Mac Namara distingue 5 degrés de réaction, dont le dernier est la guerre nucléaire... finalement, en 1962, la doctrine des "représailles massives" céda officiellement la place à celle de la "riposte graduée", dite aussi "doctrine McNamara", du nom du secrétaire d'État à la Défense de Kennedy.
- Contexte de construction du Mur de Berlin ; face aux réactions, « Khrouchtchev comprend qu'il faut lâcher du leste, mais il camoufle sa retraite sous l'annonce de reprise des essais nucléaires et fait état d'un projet soviétique. » (Fontaine).
- 1958 : rupture diplomatique entre la France et les États-Unis à propos du nucléaire.
- Nucléaire de courte portée contre nucléaire de longue portée. Eu se lancent dans la production massive de missiles...
B.) La CRISE DE CUBA (1962).
- Khrouchtchev fait installer des fusées à Cuba (« On met un hérisson dans le slip de l'oncle Sam. »), par inquiétude et, Fontaine l'écrit, car : « le Missing gap qui a affolé l'Amérique s'est retourné contre les Soviétiques. Les services secrets américains créditent l'URSS de 75 fusées stratégiques (ils n'en n'ont que 20), c'est à dire 10 fois moins en 1962 que les EU. Ce déséquilibre est contraire au principe lénino-marxiste de la nécessité de « rattraper et dépasser l'adversaire. »
- 42 MRBM et 24 IRBM sur la cote cubaine. Castro veut que la nouvelle soit rendue publique aussitôt pour dissuader les Américains de donner suite à leurs projets d'intervention.
- Dans le cadre d'une course à l'armement qui voit les EU en tête tandis que l'URSS fait du suivisme.
- Met en évidence les progrès de la diversification de l'arsenal nucléaire : missiles de moyenne portée (IRBN), longue portée (ICBM) et lancement sous-marin (SLBM). En 1962, aux fusées américaines Atlas et Titan vinrent s'ajouter les missiles Polaris, qui avaient une portée de 2.000 km; en 1964, les missiles Minutemen, qui permettaient des tirs à 10.000 km. À partir de 1960, les deux camps se mirent aussi, à peu près aux mêmes dates et à la même vitesse, à développer des satellites-espions et surtout une flotte de porte-avions et de sous-marins porteurs d'engins nucléaires.
- De là, les négociations deviennent primordiales ; pour certains, la guerre nucléaire est impossible car les deux grands ont d'ors et déjà atteint le seuil de DESTRUCTION MUTUELLE. (MAD). Cependant, à Cuba, le monde a frôlé le conflit nucléaire.
- Issue de Cuba car fermeté de Kennedy devant la pression nucléaire. Echec de la politique de Khrouchtchev qui voyait là l'occasion de rétablir équilibre avec les EU.
- Au sorti de la crise, communication entre Khrouchtchev et Kennedy pour parvenir à des accords, à la « paix véritable dont parle Kennedy dans son discours... ». Il s'agit de préserver le monopole des deux grands, et la Chine proteste contre cette « supercherie ».
C.) La tentative de régulation : un « arms control ».
- Mise en place du TÉLÉPHONE rouge reliant les deux blocs et mise en place des ACCORDS DE MOSCOU (1963).
- Volonté de maîtrise : non-prolifération verticale : pause dans les essais.
- Pour faire face au risque de prolifération horizontale : TRAITE DE NON–PROLIFÉRATION en JUILLET 1968, qui conclut une période de dénucléarisation géographique.
- Face à la tentative des deux de conserver le monopole nucléaire, émergence de politique nucléaire nationales ; des protestation dans les deux camps : ex : la France développe la STRATÉGIE DE DISSUASION PROPORTIONNELLE » : « en guise de défense, on utilisera la menace d'un châtiment analogue... » ;
- en 1967-1968 : la Chine se dote de la bombe A et H.
III/ Fin des années 60 → fin 70' : négociations de limitations...
A.) Des stocks importants...
- volume et sophistication caractérisent le stock des deux grands.
- MIRV : Missiles à têtes multiples guidées (attaque) et missiles anti-missiles (défense).
- Coût élevé...
- Intérêt pour Nixon à limiter les armements.
1972 : conclusion du traité ABM (abandonné par les EU en 75, dénoncé par Bush après l'attentat sur le World Trade Center) : seule la protection des capitales serait assurée, partant du principe que « plus les conséquences de la guerre seraient maîtrisables, plus grand serait le risque qu'elle éclatât. » (Kissinger.)
- La question nucléaire devient un problème national avec La THEORIE DU FOU (ou doctrine Nixon) : EXERCER UN CHANTAGE A LA BOMBE. Bluff pour amener Ho Chi Minh à négocier une réduction des armements.
- Dans le cadre de l'engagement en Asie.
- Dans le cas d'une agression nucléaire, il invite les pays à gérer eux-mêmes les questions de politique interne et de défense militaire.
B) SALT I (mai 72) :
- Limitation des missiles offensifs.
- Limitation des systèmes anti-missiles
→ nouvelles relations établies sur une parité bipolaire.
- URSS admet la doctrine MAD, conscients qu'il « n'y aura pas de vainqueur dans une guerre nucléaire. »
- Double importance du traité :
c. réelle.
d. symbolique.
- Reste cependant la possibilité d'une amélioration de l'arsenal nucléaire car « SALT met aussi à jour un écart en faveur de l'URSS sur les vecteur de portée intercontinentale. Moscou se centrera sur le qualitatif et ce sont donc les EU qui font le plus de concessions. » (André Fontaine).
- Américains passent de la stratégie anti-cité à la stratégie anti-force.
- Soviétiques : intérêt pour augmenter la puissance destructrice de la première frappe, dans laquelle ils dépassent les américains.
- Reprise du dialogue : Brejnev se rend en Amérique en 73 pour écarter la peur d'une guerre nucléaire. Car il veut une renonciation mutuelle (Fontaine) ; se heurte au refus des Eu. Il souhaite aussi un condominium entre les deux grands, qui se partagerait le monde en évinçant la Chine...
C) SALT II (79) :
- Dans un contexte particulier : depuis 77 Brejnev a adopté la notion de DISSUASION, non-emploi en premier de l'arme nucléaire. Cette stratégie sera privilégiée par les Soviétiques jusque dans les années 80.
- Signé entre Brejnev et Carter :
-
- Freiner la course aux armements,
- Limiter les lanceurs intercontinentaux,
- Réduction des ogives.
- Mais :
- Pas ratifié par le congrès américain.
- Limitation par la stratégie française ; depuis sa sortie de l'OTAN, se crée une force dissuasive pour défendre le « sanctuaire national » qui n'est pas dissocié de l'Europe.
IV/ Des tensions entre les deux grands à de nouveaux conflits...
A.) Les tensions de la fin des années 70.
- Décennie 70 : intervention soviétique en Afghanistan alourdit le climat.
- CRISE DES EURO-MISSILES :
-
- Installation de SS20 par l'URSS qui menacent directement l'Europe occidentale et l'OTAN.
- OTAN installe des PERSHING.
- Protestations en URSS et manifestations anti-nucléaire mais installation en All en 83.
- Rejet de L'OPTION ZÉRO (retrait simultané).
- Le PROGRAMME IDS (guerre des étoiles) est lancé par Reagan : pas une optique de guerre nucléaire ; installation d'un BOUCLIER ANTI-MISSILES (satellites de surveillance, canons électromagnétiques lasers, missiles...) pour un coût de 26 milliards de dollars. Des retombées technologiques qui ...
- Relancent la course aux armements. 1982 : dépenses militaires mondiales dépassent 500 milliards de dollars. TENSION des relations internationales...
B) La nécessité du désarmement pour les deux grands.
- Contexte : 1984, réélection de Reagan, EU ont un lourd déficit budgétaire ; URSS : Gorbatchev conscient des réalités économiques...
- Échec du TRAITE DE REYKAVIK.
- TRAITE DE WASHINGTON (8 décembre 1987) :
-
- Option zéro pour les euromissiles.
- Destruction d'armes nucléaires.
- Contrôle.
( premier accord de désarmement depuis Yalta).
- Gorbatchev déclare : « la guerre nucléaire est insensée et irrationnelle ; ce serait un suicide et la fin de la civilisation. »
- Dans les années 90 : tendance se confirme :
- START I en 1991
- START II en 1993
Marquent :
- prolongement de SALT I.
- réduction de l'armement nucléaire.
- diminution des charges nucléaires.
- pour une disparition des 2/3 de l'arsenal russo-américain.
C.) La disparition de l'URSS et les nouveaux conflits à l'aube des années 90.
- Tchernobyl : l'explosion de la centrale contraint à la Glasnost... (Fontaine).
- Pb de la DISSÉMINATION des armes nucléaires et des RISQUES DE PROLIFÉRATION HORIZONTALE.
- Renforcement de la vigilance de l'AIE après la guerre du Golfe et la découverte du développement d'un prétendu « nucléaire civil » en Irak.
- Dans les conflits du tiers-Monde, risque d'une utilisation des armes nucléaires.
- 178 pays dont la France et la Chine ont approuvé la prolongation illimitée du TNP par l'ONU. Mais reprise des programmes en Inde, Israël et le Pakistan sont déclaré secrètement « états nucléaire officieux ». Des interrogations, de nouveaux chantages (Corée du Nord.)
- Nouvelle donnée : la question de l'écologie ; nucléaire s'est développé comme source d'énergie...
- Mutation des filières : française (uranium, graphite, gaz carbonique...) abandonnée à la fin des années 60, filière américaine s'impose sur le marché.
- Énergie atomique a fait face au premier grand choc pétrolier.
- Reste la mémoire des bombes dans la mentalité populaire.
- quelques chiffres permettant une évaluation :
France : choix du tout-nucléaire en 74 : 58 réacteurs S/ les 442 existants, qui fournissent 80% de l'énergie nationale.
Au niveau mondial, le nucléaire fournit 17% de l'énergie : 35% en Europe, 20% aux USA, 10% en Asie ; choix des pays divergent : USA redécouvrent le nucléaire après 79 (accident de Three Mile Island), l'All l'abandonnera en 2020. Corrélativement, se pose la question des énergies renouvelables, des déchets radioactifs... qui implique, là encore, une coopération à l'échelle internationale.
Éléments du cours de Minaudier sur la Guerre froide…
Par ailleurs, l'U.R.S.S. continuait à se placer fondamentalement, du point de vue stratégique, dans la perspective d'un choc frontal. La doctrine militaire de l'Armée rouge ne changea pas d'un iota: elle reposait sur le principe du bombardement massif , qui avait fait ses preuves durant la deuxième guerre mondiale; et les Soviétiques, qui n'avaient pas d'opinion publique à ménager, ne faisaient pas la différence entre un bombardement classique et un bombardement nucléaire. Il n'était absolument pas question de ripostes graduées: l'essentiel était de ne pas se laisser surprendre — et pour cela l'important était de frapper fort, en prenant les devants si nécessaire.
Dans ces conditions, la course aux armements ne s'arrêta jamais; j'ai noté au chapitre 4 qu'elle fut en bonne partie reponsable de l'effondrement progressif de l'économie soviétique, puisqu'une proportion énorme du P.N.B. lui fut consacrée. L'U.R.S.S. avait la bombe A depuis 1949. L'Amérique reprit l'avantage pour quelques années avec la bombe H (opérationnelle en 1953 après trois ans seulement de reherches — la première explosion eut lieu en mars 1954 sur l'atoll de Bikini[1]), mais ce n'était que partie remise : les premiers essais soviétiques eurent lieu début 1954.
En octobre 1957, elle envoya dans l'espace le premier satellite artificiel de l'Histoire de l'humanité, Spoutnik-1[2]. Cet événement fut présenté comme un exploit technologique, preuve du développement économique croissant de l'Union soviétique, et comme un progrès pour la science; mais si l'inquiétude américaine grandit, ce n’était pas à cause du satellite lui-même, dont le bip-bip triomphant capté par toutes les radios du monde était certes agaçant, mais à cause de la fusée qui l'avait lancé: si elle avait atteint la stratosphère, elle pouvait atteindre le territoire des Etats-Unis : on entrait dans une nouvelle génération de missiles intercontinentaux[3]. (Par ailleurs, les satellites artificiels servirent très vite essentiellement à espionner le camp adverse). Effectivement, l'U.R.S.S. se dota de missiles balistiques , d'abord de portée régionale, puis, très vite, au tout début des années 1960, intercontinentale: ce qui lui donna un sentiment de sécurité croissante qui dut jouer un rôle dans l'approche moins crispée des problèmes internationaux, mais n'était quand même pas fait, à terme, pour calmer les tensions. Les progrès furent tels que dès le milieu des années 1950 le Pentagone craignait qu'ils ne fussent capables d'atteindre sans escale le territoire américain, et que l'avance américaine ne se fût changée en retard, ce que l'on appelait le missile gap — dans les deux cas c'était exagérément pessimiste, à moins que ce ne fût de l'intoxication de la part du Pentagone afin de persuader le Président de poursuivre la course aux armements.
La bombe H était une arme si puissante qu'elle rendait délicat le maintien de la doctrine des représailles massives, lesquelles risquaient de signifier la vitrification générale de la planète au moindre conflit, la Mutual Assured Destruction (M.A.D., selon un judicieux acronyme). L'arme atomique, arme ultime, arme totale, arme de champ de bataille et de terreur urbaine, avait été inefficace pour empêcher le noyautage des gouvernements d'Europe centrale; il avait été impossible de s'en servir en Chine durant la guerre de Corée, durant la crise de Cuba elle ne fut qu'une menace… Cependant il fallut presque l'ensemble des deux mandats d'Eisenhower pour que le Pentagone, dirigé par John Foster Dulles jusqu'à sa mort en 1959, arrivât à formuler les conclusions ci-dessus. Ce fut à la fin des années 1950 que les Américains commencèrent à développer des armes nucléaires "tactiques", pour le cas de conflits graves mais localisés, afin d'éviter de déclencher l'Apocalypse pour « un pâté de maisons de Berlin » selon l'expression du futur secrétaire d'État Kissinger; finalement, en 1962, la doctrine des "représailles massives" céda officiellement la place à celle de la "riposte graduée ", dite aussi "doctrine McNamara", du nom du secrétaire d'État à la Défense de Kennedy. Ce n'était que la reprise d'une vieille idée que l'on trouvait déjà dans Clausewitz, le grand théoricien de la guerre à l'époque napoléonienne: les moyens militaires devaient être en adéquation aux objectifs politiques, le choix du tout ou rien était le pire des choix car il acculait au recul lorsqu'un conflit total était trop coûteux. « Désormais », comme l'expliqua Henry Kissinger dans un ouvrage paru en 1957, « le but de la stratégie d[evait] être d'affecter la volonté de l'ennemi, non de le détruire ». Concrètement, on commencerait par utiliser les armements conventionnels, puis si nécessaire les armements nucléaires classiques, puis les missiles stratégiques contre l'U.R.S.S. et sa population; entre chaque étape on marquerait un temps d'arrêt pour permettre à l'adversaire de "réfléchir". Le problème de cette nouvelle doctrine, c'était son coût: il fallait produire des armes toujours plus différenciées… et en quantité suffisante pour pouvoir les disposer sur l'ensemble de la planète.
L'affaire cubaine montra que les armes atomiques servaient essentiellement à neutraliser celles du camp adverse et ne suffisaient pas à emporter la décision ; En revanche, Moscou avait été incapable d'aligner une force d'intervention locale, sa marine notamment avait révélé de grandes faiblesses. Aussi l'U.R.S.S. se mit également à développer ses armements classiques. C'était un développement essentiellement quantitatif (le nombre de chars, d'avions, de sous-marins croissait de manière pratiquement exponentielle), mais le retard technique finissait par se creuser dans ces secteurs aussi, malgré les efforts consentis par les Américains.
En 1962, aux fusées américaines Atlas et Titan vinrent s'ajouter les missiles Polaris, qui avaient une portée de 2.000 km; en 1964, les missiles Minutemen, qui permettaient des tirs à 10.000 km.
À partir de 1960, les deux camps se mirent aussi, à peu près aux mêmes dates et à la même vitesse, à développer des satellites-espions et surtout une flotte de porte-avions et de sous-marins porteurs d'engins nucléaires: ces appareils mobiles étaient beaucoup moins exposés aux tirs adverses que les bases fixes de lancement, et les sous-marins avaient l'avantage additionnel s'être à peu près invisibles (ils le restèrent jusqu'au bout, même des satellites-espions, moyennant des prodiges techniques), et de pouvoir s'approcher des côtes de l'adversaire pour tirer. Au passage, l'Amérique aida la Grande-Bretagne (ouvertement) et la France (discrètement) à se doter elles aussi de l'arme nucléaire. La "riposte graduée" passait par la capacité des alliés à gérer seuls des conflits régionaux; mais ces nouvelles puissances nucléaires allaient-elles toujours demeurer des alliées? Le fait que la dégradation des relations entre l'U.R.S.S. et la Chine n'avait pas empêché celle-ci de mener à bien son propre programme nucléaire en pleine période de radicalisation politique pouvait donner à réfléchir.
La course aux armements continua durant toutes les années 1960, creusant l'écart avec les puissances moyennes: en 1974, les États-Unis consacraient quatre-vingt-cinq milliards de dollars à leur défense; le Pentagone, les clubs de réflexion géopolitique et les médias jonglaient avec les kilotonnes, les millions de morts et la vitrification des territoires. Les deux supergrands possédaient la capacité de se détruire mutuellement des dizaines de fois, mais les États-Unis craignaient toujours autant le missile gap — ce fut notamment l'un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle de Kennedy en 1960, mais on le retrouve chez tous les Présidents américains jusqu'à Ronald Reagan.
La seule chose qui sauvait le monde d'un conflit mille fois plus destructeur que les précédents, c'était le relatif équilibre toujours maintenu entre les deux adversaires, qui empêchait aucun des deux de profiter d'une "fenêtre d'opportunité" en termes d'avantages stratégiques, et surtout la conscience partagée de l'ampleur des dégâts en cas de guerre: bref, c'était "l'équilibre de la terreur ". Par chance, tous les dirigeants étaient des hommes raisonnables, fondamentalement des conservateurs plutôt que des aventuriers, à l'exception de Mao Zedong qui était occupé à lancer les Gardes rouges à l'assaut de ses propres quartiers généraux. Mais l'on voit par les paragraphes qui précèdent, et que j'ai volontairement placés en tête de cette partie sur la "détente", que celle-ci n'eut rien d'une promenade en forêt main dans la main.
Les négociations sur la limitation des armements des années 1960-1970 étaient conçues, côté soviétique, comme des marchandages, des moyens de modifier le rapport de force en faveur du bloc soviétique; l'U.R.S.S. n'en appliquait que ce qui était strictement nécessaire. Ainsi S.A.L.T.-1 fut une duperie: comme il limitait le nombre de fusées sans tenir compte du nombre de têtes nucléaires qu'elles portaient, l'accord était avantageux pour l'U.R.S.S. qui, contrairement aux États-Unis, ne disposait pas encore de fusées à tête multiples: dès le traité signé, les Soviétiques se précipitèrent pour en mettre au point.
[1] ↑ L'appellation est passée aux maillots de bains féminins à deux pièces, qui étaient en train d'apparaître et obsédaient les médias tout autant que le Viagra aujourd'hui, par le biais d'une métaphore "explosive".
[2] ↑ Spoutnik veut dire en russe: le compagnon, le satellite. L'objet, sphérique, avait un diamètre de vingt-huit centimètres et pesait quatre-vingt-trois kilogrammes. il fit le tour de la planète en quatre-vingt-treize minutes. Le projet était en cours depuis 1954, sous la direction de Sergueï Pavlovitch Korolev (1907-1966) et de Valentin Petrovitch Glouchko (1908-1989); il avait également débouché sur un premier missile intercontinental (expérimental pour le moment), testé en août 1957. Les Américains répliquèrent dès janvier 1958 par la mise en orbite d'un satellite; entre-temps, en novembre, les Soviétiques avaient envoyé dans l'espace un premier êtrre vivant, la chienne Laïka. En septembre 1959, un engin soviétique (Luna-2) s'écrasa sur la Lune. En avril 1961, ce fut le premier vol habité: Youri Gagarine (?-1968) échappa à l'attraction terrestre durant une heure et quarante-huit minutes, à bord d'une capsule Vostok-1. Les Américains ne prirent le dessus dans la course à l'espace que dans la deuxième moitié des années 1960.
[3] ↑ Du reste, un mois plus tard, le même engin réussit un tir de 8.000 km, qui en faisait le premier missile intercontinental soviétique: le territoire des États-Unis cessait d'être un "sanctuaire", la dissuasion nucléaire devenait bilatérale — une revue militaire parla d'un "Pearl Harbour technologique". L'Amérique envoya à son tour un satellite artificiel dans l'espace en janvier 1958 (après un essai raté en octobre 1957); puis elle lança un vaste programme pour rattraper son retard, coordonné par une nouvelle agence, la National Aeronautics and Space Administration (N.A.S.A.), apparue en 1958. Ce programme, dans lequel les États-Unis engloutirent quarante milliards de dollars par an, était en grande partie camouflé en amicale émulation scientifique pour la conquête de l'espace, ce qui conduisit d'ailleurs à des performances non directement militaires: ainsi l'envoi d'hommes dans l'espace (le Soviétique Youri Gagarine en mai 1961, un Américain un mois plus tard) n'obéissait à aucune logique autre que de prestige, tout comme la conquête de la Lune, remportée au finish par l'Amérique en juillet 1969. Mais au passage on testait de nouveaux moteurs toujours plus puissants, de nouveaux matériels toujours plus résistants… Du reste les opinions publiques occidentales n'étaient pas dupes.