Dans l’un des romans qu’il a consacré à la conversion, Joris-Karl Huysmans fait référence à quelques sublimes pages de Saint Jean de La Croix, mystique et poète, qui analyse ainsi le phénomène de « la nuit obscure » qui débute après la conversion : « Les âmes commencent à entrer dans cette obscure nuit quand Dieu les va tirant de l’état de ceux qui commencent – qui est de ceux qui méditent en la voie spirituelle – et commence à mettre en celui de ceux qui profitent – afin que, passant par là, ils arrivent à l’état des parfaits – qui est celui de l’union divine de l’âme avec Dieu ». L’idée d’une épreuve subie par l’âme après la conversion me semblait être un défi pictural à relever, d’autant qu’elle pouvait également être prise dans un sens plus large de représentation du désespoir humain.
Mon travail s’est d’abord porté sur une réflexion autour de la couleur. Le fond de la toile a été entièrement peint en noir, afin d’apporter l’idée d’obscurité et de nuit. J’ai ensuite retravaillé cette base de noir en créant ma propre couleur : les différentes proportions des couleurs primaires que j’ai mélangées m’ont permis d’apporter des nuances dans cette obscurité, de suggérer des gouffres, des marches. J’ai travaillé par couches successives, jusqu’à l’obtention d’un équilibre des nuances. J’ai ensuite apporté de la lumière dans un angle du tableau et sur les marches, afin de créer une issue et une dynamique dans la structure du tableau.
Les deux figures du premier plan devaient jouer un rôle majeur dans la composition de ce tableau, qui repose sur une économie d’éléments représentés au profit de la suggestion et de l’impression. Elles peuvent être lues dans un sens humain – une représentation du désespoir de l’homme – mais également dans un sens mystique – la figure la plus à droite représenterait l’Homme avant la conversion, celle à gauche l’Homme après la conversion plongée dans « la nuit obscure » - ou dans un sens allégorique – la figure de droite serait un dédoublement du désespoir de l’Homme situé à gauche. J’ai privilégié des lignes de composition courbes pour les corps, qui rappellent ainsi l’escalier du fond. Les bras, assez droits, forment une dynamique vers la Lumière.
J’ai privilégié la technique du couteau car elle permet d’évoquer des formes, des abîmes et des montées en se centrant moins sur les détails que sur une impression générale, grâce à l’utilisation de mediums dans la peinture, et d’éventuelles marques du fil du couteau dans la peinture.
Surtout, le couteau m’a permis donner à voir les nuances des couches successives, en grattant les aspérités données par les medium et de travailler la peinture comme une pâte, ce qui rapproche presque la toile d’une terre à modeler. Les photos de détails ci-dessous permettent de souligner le travail sur les mains, qui sont le centre de l’expressivité de ce tableau.