Je m’évade ce matin dans La Fille de supérette de Sayaka Murata : ce roman est pour le moins déroutant. Les comportements de la jeune Furukura étonnent : déprise, réactions inadéquates, insensibilité, et création d'un « faux-self », c’est-à-dire d’une identité par imitation. La supérette, par son cadre structuré, par la répétition des tâches procure à l’héroïne un cadre rassurant, bouleversé par la rencontre avec Shiraha. Histoire d'amour ? En réalité, c’est à la naissance une relation complexe, que le lecteur va assister. Il ne peut la comprendre qu’en acceptant de se dépouiller des étiquettes de « normalité ». Shiraha parasite et dominateur, ne m’a guère été sympathique. Mais ses discours cyniques, dénonçant la permanence d’une pression exercée sur l’individu pour lui assigner une place sociale ou familiale visent juste. Il est rare qu’un personnage antipathique et vile délivre des vérités si profondes de mon point de vue. Où et comment notre vie trouve-t-elle son sens ? comment nous construisons-nous pour être conforme au monde?
Cette question psychologique, sociale et philosophie se dégage du roman. Le rapport entre le travail et la construction de soi, est finement donnée à penser. L’une des grandes réussites de ce livre, à mon sens, est de sortir d’une pensée binaire sur le travail, en amenant le lecteur à saisir l’ambivalence de ce qui peut paraître comme une robotisation de l’individu face à son épanouissement personnel. Les dernières pages sont marquées par l’affrontement entre la vision de Shiraha, qui considère (non sans opportunisme) le nouvel emploi que Furukura pourrait décrocher comme une libération d’une forme d’asservissement, et celle de la jeune femme qui, en dépit d’une réflexion sur la réduction des individus à un simple rôle utilitaire dans le monde du travail et de sa conscience d’être hantée par la réflexes de son emploi, persiste à vouloir demeurer employée de supérette. Ce final conflictuel entre deux marginalités constitue une réponse toute en nuance a la question de l'asservissement dans le travail.
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- Pascaline Hamon
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