[ Voici un petit texte pour répondre au joli texte d'hier de Marc Lefrançois -qui nous a honoré de sa visite et d'un commentaire- et que je vous conseille d'aller lire, avant ou après... avant : vous aller me trouver dure ; après : vous aller me trouver abominable... à vous de choisir... ]
Il fut un temps où, comme bien des adolescents, je marchais chewing-gum sur chewing-gum, croquait chips au bacon sur chips au bacon, sucait chupa chups sur chupa chups... à la récré, dans la rue, avant d'entrer en cours, après le cours...
Il fut un temps, où bien entendu, une copine avec laquelle je faisait les trajets pour me rendre au collège, - nous avons souvent, à cet instant de notre existence, une sorte de chaperon, qui nous tient lieu, non pas vraiment de modèle, mais qui exerce une sorte de fascination par les timides audaces prises telles l'achat d'un magazine spécial fille, l'organisation d'une soirée ou le passage en boucle de ce splendide chef d'œuvre du 7ème art dans lequel sont réunis deux grands poncifs : l'amour et la danse et où l'apprentissage de quelques pas de rock devient le lieu d'une émotion absoluement inoubliable – était parfaitement intéressée par les garçons.
Il est bien entendu, une ironie tragique de la vie adolescente qui consiste à faire qu'ine brusque mouvement de sympathie vous lie à quelqu'un d'assez opposé à ce que êtes (le fameux chaperon ! ) et ceci vous amène à vivre de façon distancée, comme par procuration, certains éléments de votre vie...
Ce midi-là, en rentrant, nous vîmes sur le trottoir d'en face le resplendissant L*** M***, dont le sourire aurait désarmé une armée de légionaires, si légionaires il y eût encore en France, et surtout dans ce pauvre petit quartier parisien...
Bien entendu, je suis lasse, déjà, dans le fond de mon esprit. Mais il faut jouer dûment notre rôle... Ou, comme le disait l'ami Montaigne « Mundus universus excercet histrionam ». Suis-je histrion, menteuse ou hypocrite ? Voilà que je n'ai pas ni le courage ni l'audace de laisser seule mon chaperon, qui –bien entendu- se réjouit à la seule idée de parler à un garçon...
Il est bien entendu, une ironie tragique de la vie d'adolescent, qui consiste à ce que ce que vous aimeriez que les autres puissent avoir le plaisir de reçevoir comme un don, c'est vous-même qui le recevez et devez en souffrir le fardeau et le subir...
Pourquoi donc, en ce jour, délaissant mon chaperon, le jeune garçon se tourne vers moi (qui joue, qui feint, n'oubliez pas, le ô, le ravissement, c'est vraiment « trop cool » (on a le vocabulaire pauvre du jeu et de son masque) de te rencontrer, ô quelle bonne surprise... Nous faisons les cent pas, dans la rue, discutant de ces pauvres et banales futilités qui ont tant d'attraits à un certain âge...
Mais je dois partir, vraiment, il est moins le quart, déjà, maman ne plaisante pas avec l'horaire du mercredi midi, surtout, je dois y aller...
L*** M***, triomphant, glisse alors sa main dans sa poche et me tend, à moi qui marche chewing-gum sur chewing-gum, croque chips au bacon sur chips au bacon, suce chupa chups sur chupa chups, un gros paquet de chewing-gum et me la tend rayonnant, puis s'en va...
Le malaise m'envahit ; car je n'aime pas être obligée et contrainte de reçevoir... Je voudrais refuser ce présent (outrageant, en plus, car ce n'est pas moi, qui, dans le fond ne croque des sucreries que par imitation et m'irrite en me rappellant que je rumine à longueur de journée, ce qui, finalement, n'est guère gracieux...). Il est des femmes qui haïssent les roses, et leur en offrir, alors que cela est chargé de belles et bonnes intentions ne peut que les blesser... Et puis, une double-panique m'envahit. Dans mon esprit romanesque, fort maladif, me vient la subite idée que ce grand sourire qui accompagne ce don ne peut renvoyer à quelque chose de gratuit... Cherche-t-il a se débarasser de quelque chose ? Tout adolescent disposant d'une plaquette de chewing-gum non-entamée à midi me semble suspect, et j'en déduit que ce doit être de la drogue... Ou autre chose... Ou rien... Mais qu'en sais-je ? Et puis je ne veux pas me sentir redevable de quoique ce soit à ce type que je n'ai vu que deux fois auparavant... Accepter, est-ce métaphorique ou littéral ? Vais-je laisser penser que je ne suis pas la Chimène dure, solitaire et rebelle que je veux être à ce moment de mon existence ? Vais-je laisser ma liberté aliénée par une plaquette de chewing-gum ? Arrière, main masculine, qui veut donner pour prendre et prendre et encore prendre ma belle liberté de mon adolescence... Blême je suis, froide je reste...
Mon chaperon (intuition, ou mésinterprétation ?) ressent que je n'apprécie guère le présent. Mais, là où le pauvre esprit de l'artiste se replie dans les tourments baroques de chimères fantaisistes, il est des éléments du monde qui nous ramènent à l'action et à l'événements, et nous donnent ainsi la possibilité de finir nos nouvelles en beauté (le chaperon).
Jalousie, ô, mon Oenone, ou amitié ? Quel aiguillon te pousses, à me conseiller de jeter à terre, au caniveau, la malheureuse boîte ?
Je suis si mortifiée et en même temps si fière de vouloir montrer, dans toute ma hauteur que je ne suis pas prête à me pâmer devant cette ridicule attention, que pour garder ma dignité et faire éclater mon honneur, je m'empresse de la jeter.
La semaine d'après, en croisant, le mercredi midi, L*** M*** sur le trottoire d'en face, je lui adresse un signe de la main. Il nous regarde, passe rapidement, ouvre une grande porte rouge d'immeuble et s'engouffre dans le hall sans se retourner.
Gênée et étonnée, je regarde, interloquée, ma tragique confidente, qui hausse les épaules avec une moue de mépris, tandis que, là bas, dans le caniveau, devant la porte rouge, j'aperçois la petite boîte, qu'un coup de talon rageur à écrasée pour faire sortir sous le visage, sûrement rouge de rage de L*** la plaquette non-entamée...