Retour d'une conférence de P. Jourde dont le thème était : A quoi sert la littérature et son enseignement ?
Dans le climat de grève actuelle, le débat a surtout consisté à justifier l'existence même de la littérature, paraît-il menacée...
Loin de moi l'idée de reprocher une volonté d'étoffement et de réflexion à un auteur que j'apprécie par ailleurs, surtout pour la verve avec laquelle il a "démoli" certains auteurs contemporains que je n'aime guère.
Cependant, quelques pistes de réflexion ouvertes m'ont laissée perplexe en dépit de mon amour pour la littérature. Car, ce n'est pas tout de dire que l'on aime lire ou écrire, il faut encore comprendre cet amour, ce qui nous plaît dans la littérature...
Et pour cela, il serait bon de couper, justement, ce type de débat de questionnements politiques. Puisque l'on prétend montrer qu'il y a d'autres dimensions que l'utilité, il faut aller plus loin et accepter une analyse lucide de la littérature, sans volonté idéologique, dans quelque sens que ce soit. La réflexion littéraire doit elle aussi se situer dans une sphère plus haute, avec de plus grandes idées.
Je livre donc ces quelques pistes ouvertes durant ce débat qui ne m'ont guère convaincue :
1.) LA LITTÉRATURE, CA SERT A S'HUMANISER. Comment comprendre ce terme ? Pour ma part, j'ai rencontré au cours de ma brève existence des gens parfaitement férus de littérature qui étaient d'une maladresse incomparable dans les rapports humains. Évidemment, tous ne sont pas ainsi. Mais justement. A ce que je sache, il n'est encore nulle étude sérieuse qui ait prouvé que les gens lettrés étaient plus humains que d'autres... L'histoire, comme nous le rappelait Paul Valéry justifie tout ; il y eu des gens de lettres emplis de suffisance et de pédanterie, emplis du mépris et de la morgue cynique que l'ironie et les figures de rhétoriques permettent de maitriser...
2.) Remarque d'une intervenante : LA PENSÉE C'EST CE QU'IL Y A DE PLUS DUR A APPRENDRE, APRÈS LA PRATIQUE, CA VIENT PLUS FACILEMENT... Il a fallu des années à mon grand-père, qui était maçon pour mettre au point la technique du glaçage cimenté pour les marches d'escalier et je doute que même avec des années de littérature dans la poche je puisse un jour égaler le chef d’œuvre technique qu'il a réalisé... je remarque au passage que la génération de mes grands-parents possédait une culture littéraire reposant sur les textes fondamentaux que les élèves connaissent de moins en moins...
3.) Beaucoup de remarques ont porté sur les GENS QUI VISSENT DES BOULONS, en expliquant qu'il ont le droit à la culture, comme tout le monde (à cause de l'affaire de la Princesse de Clèves). Parler ainsi est toujours ambigu, car même un individu qui a pour métier de visser des boulons et n'a pas forcément eu la chance de faire de la littérature peut :
a.) Avoir lu et apprécié des textes.
b.) Peut avoir en lui des qualités d'humanisation et de compréhension du monde.
c.) Peut avoir d'autres biais pour aborder la réalité selon un mode plus complexe et des expériences intimes.
La culture est un droit, en effet, et il est important que chacun puisse y accéder... Reste, selon moi, une série de problèmes :
a.) La "distinction" culturelle reste ; comment pense-t-on alors la barrière des concours...
b.) Si l'on admet que la culture a pour but fondamental disons, d'humaniser, il faut admettre qu'il peut s'avérer ridicule d'évaluer (quoi, l'humanisation de l'individu ???)... Si gratuité il y a, qu'elle soit totale pour éviter de donner l'impression que, sous couvert d'un discours empli de bonnes intentions, on conserve encore distinctions et discriminations.
c.) La distinction peut être posée : la littérature n'est pas son enseignement. Celui-ci doit permettre aux élèves de la découvrir, dans toutes la richesse de leur diversité et aussi, reconnaissons-le, de leurs intérêts. La littérature peut permettre de maitriser la langue et l'orthographe, qui restent, en dépit de tout, des critères de sélection et de discrimination majeur. Mais, l'élan donné aux élèves doit pouvoir leur permettre d'aller rapidement aux textes par eux-mêmes...
d.) Il est cependant UTOPIQUE de penser que l'évolution de la société favorise la lecture ; nous sommes entrés dans une société virtuelle et de consommation; Il faut en tirer toutes les conséquences : vouloir enseigner la littérature c'est vouloir entrer en lutte avec tout, en avec certains penchants des élèves aux-mêmes; MSN a plus de succès que Stendhal auprès des jeunes adolescents et la lecture est de moins en moins envisagée comme un loisir.
4.) QU'ENSEIGNE-T-ON ? Faisons le rapide calcul des textes littéraires reconnus étudiés durant ma scolarité de collégienne (stade après lesquels bien des enfants en difficultés abandonnent sans avoir jamais goûté aux beautés de la littérature et sans avoir acquis les clés principales de compréhension non plus...) :
- Molière, le Malade imaginaire (en 5ème)
- Camus, L’Étranger.
- Hugo, Claude Gueux.
J'ai beau chercher, je ne vois rien d'autre... En 4 ans, c'est un peu maigre comme initiation à la littérature ( sans histoire littéraire, en plus ! )... Heureusement que la vraie vie, qu'est, en effet, la littérature, s'apprend avant tout dans les livres !