- Pascaline Hamon
- Pages écrites
M. M. Mori,
4, boulevard des allongés.
95 170 Deuil-La-Barre
M. Cavot Père et Fils, Pompes funèbres,
3 rue du Repos,
60433 Mortefontaine-en-Thelles.
Messieurs,
C’est la mort dans l’âme que j’ai pris connaissance de votre annonce dans la revue « Belle mort ». J’ai toujours rêvé de destinations lointaines, et après un premier emploi dans une agence de tourisme, c’est tout naturellement que je souhaiterais accompagner ceux qui embarquent pour le grand voyage.
Depuis que je suis enfant, je croque la mort à pleine dents. Naturelle, violente, accidentelle, intentionnelle, tragique ou bien comique, je la déguste, à la croque au sel, sucrée, à point ou bien recuite, de préférence accompagnée de racines de pissenlits.
Dans mes loisirs, je pratique le tir au pistolet et autres armes de poing ; j’ai concouru plusieurs fois dans la catégorie « ambidextre », ce qui, modestement, me donne certaines compétences lorsqu’il s’agit de passer l’arme à gauche.
Hantant régulièrement les cimetières, vous pourrez compter sur moi pour tirer dignement une tête d’enterrement à chaque fois que l’occasion s’en présentera.
En souhaitant que ma candidature ne reste pas lettre morte, je vous prie d’agréer mes sombres salutations.
M. Mori.
Le 07/06 : « Lettre de délation moderne ».
Madame, Monsieur,
En tant que bon Français écrivant en bon français, il est de mon devoir de vous informer des faits qui se sont produits à mon domicile, les nuits du 21 mai et du 05 juin 2022. Si je les porte à votre connaissance, c’est dans le but de prévenir les autres troubles qui pourraient survenir, et qui témoignent de la dégradation morale et du climat d’insécurité général de notre pays. Conscient que seule la collaboration active des habitants de notre ville permettra de mettre un terme à cette situation intenable, je souhaite apporter ma modeste contribution au maintien de l’ordre.
Tout a commencé il y a une quinzaine de jours, dans la nuit du 21 au 22 mai ; à ma grande surprise, en me levant le matin, j’ai constaté que l’une des baskets que je conserve à côté de la baie vitrée qui donne sur mon jardin avait été déplacée d’au moins un mètre. Il était impossible d’accuser le vent ; il fallait donc qu’on se soit introduit illicitement sur mon terrain, dans le but très certain d’accomplir un larcin. Cette intrusion nocturne par effraction est très déplaisante ; car enfin, si l’on ne peut plus laisser une paire de baskets dehors sans attirer les convoitises, où va-t-on ? C’est incroyable que l’on puisse être ainsi dépouillé de biens d’aussi peu de valeur jusque dans l’espace clos de son jardin ! Afin de me prémunir contre d’autres agressions, j’ai donc fait installer un capteur de mouvements et une caméra infrarouge au-dessus de la baie vitrée.
Dans la soirée du 22 mai, alors que j’étais installé derrière la baie vitrée pour profiter de la soirée, les capteurs se sont allumés et j’ai distingué une ombre qui bougeait. Je me suis approché et j’ai vu une grosse silhouette noire qui se faufilait rapidement, le long du mur. C’était un rat. Sitôt qu’il m’a aperçu, il a tourné le dos et d’un pas rapide mais sans courir et il a replongé dans la nuit avant d’avoir pu accomplir ses méfaits. J’espère bien, la prochaine fois, pouvoir le prendre en flagrant délit de tentative de vol doublée de violation de domicile afin de conduire le sus-nommé rongeur devant les tribunaux.
Il serait bon que la police municipale veille à ce que ces individus respectent les limites de propriétés, sous peine de voir les braves gens être obligés de recourir à la ratonnade, dans laquelle nous avons jadis excellée.
Vive la République, Vive la France,
signé : UN HONNETE CITOYEN FRANÇAIS.
Le 06/06/2022 : « Lettre à personne ».
Cher vous, cher toi,
Haï, honni, supporté, adoré,
Qui que tu sois, je sais que tu ne prendras pas la peine de me lire, ni même de me répondre. Lorsque j'aurais terminé cette lettre, je refermerai l'enveloppe et j'inscrirai sur le recto cette seule mention "Personne", sans autre indication d'adresse. Je sais déjà que ma lettre me reviendra, et que je ne trouverai dans le retour du courrier que l'écho de mes propres mots.
Toi, vous, personne, cela fait trop longtemps que tente en vain de vous saisir, de vous surprendre, de fixer vos traits, de vous embrasser ou de vous briser.
Je n'ai rien à te, je n'ai rien à vous dire de plus que cela : vous êtes tout et rien pour moi.
Vous êtes le moteur de mes désirs d'écrire, le lecteur idéal qui saura m'écouter, le compositeur de génie qui saura me lire ; votre absence est l'oxygène qui fait vivre ma plume, avant de la noyer dans l'amertume que vous me provoquez. Car vous êtes impalpable, perdu dans un monde des possibles qui m'est fermé, moi qui suis quelqu'un, sans être personne ; toute l'ironie de cette situation m'apparaît cruellement.
Avez-vous existé, déjà, ou existerez-vous un jour ? Deviendrez-vous, "quelqu'un", vous ? Peu importe, puisque, n'étant ni de ce monde, ni de cette époque dans laquelle vous vivez, je n'ai pas le privilège de faire partie de votre vie. Si vous me le permettez, laissez-moi vous dire combien cette situation me semble injuste, moi qui vous fait une telle place dans ma vie....
J'aimerais rompre avec vous. Mais s'il est possible de rompre avec quelqu'un, en cessant de songer à son visage ou à sa voix, il est bien plus compliqué, voir impossible de rompre avec vous, personne, aussi étrange que cela puisse sembler. Vous ne cessez de prendre l'apparence de celles et ceux que je croise, ici ou là : muses furtivement dessinées, passants et passantes photographiées ou qui hantent ma mémoire, artistes inhumés. Vous vous démultipliez ; vous êtes nombreux à être personne, sans jamais parvenir à l'incarner tout à fait. Vous êtes nulle part et partout, me persécutant jusqu'à l'obsession tandis que je vous cherche.
Je dois le reconnaître, je suis obligée de composer avec vous, avec votre présence et votre absence simultanément. Personne n'a jamais donné de conseils sur ce qu'il fallait faire en de pareils cas. C'est donc le statu quo que je vous propose : aucune évolution dans nos relations. En un mot, j'écris pour rien et je diffuserai sans doute cette lettre sur les réseaux sociaux, à mes abonnés absents.
Je me passe des formules de politesse, elles ne sont valables que quand on écrit vraiment à quelqu'un.
Adieu, donc ou plutôt, à notre prochaine occasion manquée de rencontre.
Pascaline H.
Bienvenue dans un monde de mots et d'images...
Bonne visite et bonne journée / nuit...
Sauf mention contraire, les œuvres présentées sont de ma réalisation.
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